Préface: Tous les faits recueillis dans ce livre et qui ont rapport aux corsaires, aux esclaves et aux martyrs, sont parfaitement authentiques.
Outre un certain nombre de relations ou procès-verbaux officiels de rédemption publiés par les ordres religieux voués au rachat des captifs, j’ai consulté les archives des révérends pères capucins de Tunis, l’Histoire de Barbarie et de ses corsaires par le père Dan, Topogra? a de Argel par D. Haedo, Alcune memorie d’Italia par Mgr Luquet, évéque d’Hésébon, etc.
Comme je destine ces récits particulièrement aux jeunes gens, j’ai cru devoir leur en faciliter la lecture en présentant la narration sous forme de dialogue.
Ce dialogue cache une action peu sensible et très-secondaire, qu’il est impossible de confondre avec la partie purement historique, dont elle est, pour ainsi dire, l’encadrement. Dom Gervasio Magnoso, que je fais parler dans cet ouvrage, est un vénérable religieux mort en 1851, après avoir vécu environ un demi-siècle en Algérie. J’espère que les paroles que je lui prête ne feront pas injure à sa mémoire.
Il est sans doute inutile d’ajouter que je n’ai point voulu écrire ici l’histoire complète de l’esclavage des chrétiens en Barbarie. Ce volume en est une page détachée, mais trop peu connue, si je ne me trompe, et dont la plusgrande partie n’existait pas encore en français.
INTRODUCTION
C’était au mois de mai 1850. Le soleil disparaissait au couchant, et en? ammait doses derniers rayons la mer qui baigne le pied d’Alger. Les ombres des hautes collines de la Boujaréa commençaient à envahir la blanche ville des corsaires. La brise et les ? ots se taisaient. Dans le calme du soir, les cloches et les muezzins invitaient à la prière chrétiens et musulmans.
Non loin de la porte Bab-el-Oued, sur la terrasse d’une maison mauresque, plusieurs personnes, qui venaient respirer la fraîcheur de la nuit, s’agenouillèrent en ce moment et récitèrent pieusement l’Angélus. On distinguait d’abord parmi elles un moine vénérable, trinitaire, d’origine espagnole. Il habitait Alger depuis cinquante ans, et il en avait passé une partie su service des esclaves chrétiens dans les bagnes. Il était l’hôte et l’ami de cette maison.
Le propriétaire, M. Morelli, négociant français, avait acquis une jolie fortune sans ternir l’éclat d’une probité héréditaire ; il consacrait maintenant ses loisirs à l’étude de l’histoire et aux œuvres de piété. Mme Morelli était une Italienne distinguée par l’élévation de son esprit et la noblesse de ses sentiments religieux.
Vous voyez auprès d’eux les trois enfants qui composent leur famille : Alfred, engagé dans la marine ; Carlotta, jeune ? lle qui présente le ? dèle re? et des vertus de sa mère; et Marie, cette petite enfant qui joue à l’angle de la terrasse avec Fatma la négresse.
Chaque soir les mêmes personnes se trouvaient ainsi réunies. Alfred passait à cette époque un congé de trois mois au sein de sa famille, et il n’était pas le moins attentif aux récits du vieux moine. Une blanche barbe couvrait la poitrine du père Gervais, ou dom Gervasio. Dans cette poitrine battait un cœur de feu; sous ce front chauve virait une imagination que l’âge et les fatigues avaient calmée sans doute, mais qui éclatait encore au réveil des souvenirs. Fatma n’était pas une esclave; et si elle remplissait ordinairement la charge de servante, on la traitait pourtant avec une bonté, unie familiarité qui la plaçaient au-dessus de cette condition. C’est qu’elle avait un jour sauvé d’un péril imminent la vie de Carlotta.
« Quelle splendide soirée! dit M. Morelli. Comme l’air est frais et pur ! Le bleu du ciel va s’étoiler : je me croirais à Naples.
— Je ne contemple jamais le magni? que panorama d’Alger, cette rade dont la courbe est si belle, ces riches coteaux où les villas brillent au milieu des bocages, cette mer sillonnée de navires, en? n ce vaste horizon des montagnes kabyles, sans ressentir une intime joie de ce que la Providence nous donne un tel pays.