Boussaad Khati premier pédiatre algérien de l'école française et seul médecin algérien ayant porté l'uniforme de l'ALN sans interruption de 1956 à 1962.
Le docteur Boussaad Khati est né le 23 novembre 1925 au village d’Ichardiouane Oufella (commune mixte de Fort National, actuelle commune de Aït Douala). Il a fait sa première année primaire à l’école du village en 1934-35 puis a rejoint l’école primaire indigène Jean Marie de Tizi Ouzou de 1935 à 1940. Il obtient son certificat d’études indigène en 1939, il fallait alors faire une année complémentaire pour obtenir le certificat d’études européen. De 1940 à 1944, il est à l’école primaire supérieure (EPS) de Tizi Ouzou, il passe le brevet et le BEPC (avec la langue arabe) en 1943. Ces filières ne permettaient que l’accès à l’école normale de Bouzaréah pour devenir instituteur. Il a donc présenté le concours au cours de l’année 1944 aux deux sessions, mais aucun ‘indigène’ n’est été pris. Dépité, il redouble de volonté et en une année (1944-45), il prépare seul à la maison l’examen de la première partie du bac, examen qui comprenait l’arabe et l’espagnol comme matières de langue, et c’est le succès. L’année suivante, il est au lycée Bugeaud (actuel Emir Abdelkader) pour préparer la deuxième partie du bac en classe ‘sciences expérimentales’ qu’il obtient en juin 1946. Sur les 29 candidats européens et les 13 candidats ‘indigènes de son lycée, treize seulement sont reçus dont sept ‘indigènes’.
 
A l’époque trouver un logement en location pour un étudiant à Alger dissuadait les plus téméraires. Instruit de cet obstacle, Khati dès l’obtention du bac écrit à toutes les universités françaises ayant une filière médecine et dotées de cités universitaires pour solliciter une place. Il y en avait alors une dizaine. Seule, celle de Nancy a répondu favorablement, il part alors en novembre 1946, faire son PCB dans cette ville. Il est reçu en juin, sur les 164 candidats inscrits, 64 sont reçus, il arrive à se classer 13e. Nancy est une ville très froide en hiver, il languissait le climat méditerranéen. Il s’est alors résolu à partir à Montpellier pour continuer ses études de médecine. D’octobre 1947 à juillet 1953, il fait ses six années d’études. Un camarade de faculté le Pr. Djennas le décrit à cette époque : « Ce qui frappe chez Boussaad, c’était son élégance raffinée. Il était, en effet, toujours tiré à quatre épingles. C’était ensuite, son accent du terroir très prononcé, qu’il parlât en français ou en arabe. C’était enfin, son sérieux, sa sobriété – ni tabac, ni alcool – comme Boukort, le respect quasi-militaire de certains principes, telle, par exemple, la ponctualité. » (Djennas M., Vivre, c’est croire, p. 203, Casbah Ed, Alger 2006) Le 11 juillet 1953, il soutient sa thèse de médecine en optant pour un sujet de chirurgie : ‘‘’Etude des variations de l’équilibre hydro-électrolytique chez les opérés’’. Il obtient le prix de thèse et il est lauréat de la faculté de médecine de Montpellier. Il voulait, en effet, choisir la chirurgie comme spécialité, mais le chef de service d’orthopédie où il effectuait son stage d’interne, lui avait dit, un jour : « C’est dommage que vous ne soyez pas français ! » Les ‘indigènes’ ne pouvaient pas être recrutés dans la fonction publique, la chirurgie leur était pratiquement fermée.
 
Sachant tout cela, Khati avait entamé une spécialisation en pédiatrie et puériculture dès 1953. Le CES durait quatre ans dont une année de puériculture. Il a terminé sa spécialité douze jours avant la grève de mai 1956. C’est le premier pédiatre algérien diplômé de l’école française. Il est nommé responsable du service de consultation du service de pédiatrie de l’hôpital de Montpellier.
 
Bien avant cette date, le Dr. Khati a commencé à militer pour la cause nationale. Chaque année de 1953 à 1956, il passait ses vacances en Algérie, il allait remplacer le Dr. Oussedik à Azazga. Il se tenait alors régulièrement au courant de l’évolution de la situation et apportait sa modeste contribution au réseau nationaliste qui se constituait. Il était fiché par les RG et a été assigné à résidence en 1956 à Montpellier. Malgré cela, il décide de rejoindre au début 1957 volontairement et avec ses propres moyens le FLN au Maroc. Il prend l’avion de Paris pour Tanger, il rentre en contact avec le réseau à Casablanca et rejoint les rangs de l’ALN au Maroc occidental. Il est désigné comme responsable de santé de tout le Nord d’Oujda. Cette vaste région comprenait les camps d’instruction installés dans le Rif, les unités stationnées le long de la frontière, les camps de réfugiés, les civils FLN, les réformés parmi les djounoud, les populations marocaines au niveau de cette région et même les Juifs et les quelques Européens qui y habitaient au Nord d’Oujda ou à Berkane. Son PC se trouvait à Berkane au sein de la DGIO, il «soignait aussi bien les officiers et djounoud de l’ALN que les populations locales marocaines des montagnes de Nador où sa maîtrise de l’amazigh lui permettait de sympathiser facilement avec les Chleuhs du Rif.» Le centre de Berkane se trouvait sur des terres appartenant à une famille algérienne, les Bouabdallah, qui les ont mises «mises à la disposition totale des troupes de l’ALN pour les exploiter pour les besoins d’approvisionnement des djounoud.» Un hôpital de l’ALN avait été érigé à leur niveau, il était situé «dans la ferme familiale Leroy où ont longtemps exercé, parmi d’autres, les docteurs Khati, Franz Fanon, Amir, Ouahrani, Saïd.» (Bouabdallah E., communication personnelle, Alger 2010) Il a fait venir sa voiture de Montpellier par un étudiant marocain. Elle lui servait pour ses déplacements dans cette vaste région. Elle a même servie à l’évacuation du Dr Fanon lors de son accident de voiture, vers Oujda.
 
Le Dr. Khati est resté, en tenue militaire de cette date jusqu’en novembre 1962, chargé de la prise en charge des derniers civils algériens restés dans la région.
 
Il rentre au pays et rejoint l’hôpital Mustapha à Alger. Le staff du ministère de la santé composé d’Annette Roger, Djeghri et Yadi décide à ce moment d’organiser un concours d’agrégation pour décembre 1962, pour quelques médecins dont Khati et Lazreg. Le délai est très court pour permettre une préparation convenable malgré un petit séjour à Montpellier. De plus, le président du jury connaissant bien l’autre candidate en pédiatrie. Le résultat était donc prévisible. Le Dr. Khati a été chargé par le ministère de la santé de plusieurs missions à l’étranger dont une à Genève où l’ambassadeur d’Algérie le Dr. Bentami l’a présenté au Dr. Condo, brésilien et directeur exécutif de l’OMS, lequel s’est montré intéressé de le voir représenter l’Algérie à l’OMS. La réponse de Dr. Nakkache avait mis fin à cette idée : « Nous sommes que quelques cadres de la santé en Algérie, si vous quittez… ». Loin de lui tenir rancune, le Dr. Khati considère le Dr. Nakkache « comme le seul médecin sérieux que l’Algérie a eu comme ministre… il était d’une honnêteté remarquable et d’un dévouement intégral. » Déjà en 1963, il voulait mettre les hospitalo-universitaires au-dessus du besoin : « je tiens à ce que les hospitalo-universitaires n’aient pas à regarder à coté. » malheureusement la loi de finances promulguée par le gouvernement Ben Bella, est partie dans le sens opposé.
 
Lorsqu’il réintègre la Clinique médicale de pédiatrie (CMI) en mars 1963, Vénézia, un professeur français appelé en coopération et qui s’occupait des prématurés, était chef de tout le service. Mme Bénallègue, ne voulait pas être deuxième et a demandé à être transférée sur l’hôpital Parnet (actuel hôpital Pr. Nefissa Hammoud-Laliam) où il n’y avait pas encore de service de pédiatrie et en a créé un. Au départ de Venézia, le Dr. Khati est nommé chef de service par intérim. Il est nommé agrégé en 1967 par Ahmed Taleb et devient chef de service de plein exercice. Il a formé plusieurs générations de pédiatres dont plusieurs professeurs : Mostéfa Keddari, Mme Hasséna Berrah née Mohammedi, El Hadi Maïza, Abdelouheb Mertani, Abdelatif Bensénouci, Mme Bachir Laliam, … Le professeur Boussad Khati a été l’un des fondateurs de l’école de pédiatrie d’Alger, sa modération, sa simplicité et sa rigueur professionnelle ont permis aux pédiatres de travailler dans un espace de fraternité et de concorde. (Khiati M., Les Blouses blanches de la Révolution, Anep Ed, Alger 2011)

 

 

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