Il n’a pas écrit ses mémoires, il n’a pas fait un roman de sa vie et pourtant sa vie fut on ne peut plus romanesque, mêlant l’amour du théâtre et l’anti-colonialisme sous le signe commun de l’engagement. A 92 ans, Jean-Marie Boeglin vient de disparaître. Le théâtre à Lyon, à Grenoble et à Alger perd un vieux compagnon de route.

Un rebelle engagé assorti d’une irrévérence anar chaleureuse mâtinée de discrétion, tel était Jean-Marie Boeglin. Né en 1928 à Châlons-en Champagne d’un père cheminot et d’une mère femme de ménage, à quinze ans comme d’autres gamins de son âge n’ayant pas froid aux yeux, il s’engage dans la Résistance dans les pas de son père, résistant lui aussi. Il devient agent de liaison FTP. A la Libération, il commet un beau doublé : exclu des Jeunesses communistes en 1947 puis exclu de la Fédération anarchiste quatre ans plus tard. L’orthodoxie, c’est pas son truc. Objecteur de conscience, le voici au trou pour six mois. Parallèlement à ces engagements, il a très tôt chopé le virus du théâtre. Il a été inscrit aux cours Dullin, a fondé une compagnie de théâtre amateur, « Les tréteaux du terroir ». Il croise Antonin Artaud ou Arthur Adamov, dit avoir été « biberonné au surréalisme ».

En 1950, il devient instructeur régional d’art dramatique et, par la suite, dirigera des stages d’« éducation par le jeu dramatique ». C’est de ce giron que sortiront quelques pointures de la décentralisation dramatique. Lors des Rencontres internationales de la jeunesse de la Loreley en 1951, il fait deux rencontres capitales : Roger Planchon et Mohamed Boudia. Avec le premier, quatre ans plus tard, il vivra l’aventure naissante du Théâtre de la Cité à Villeurbanne dont il deviendra le secrétaire général tout en s’occupant de l’école. Avec le second, plus tard encore, après l’indépendance de l’Algérie, il allait créer le Théâtre national d’Alger.

Mais entre-temps, c’est la guerre d’Algérie. Il est, bien sûr, pour l’Indépendance. La mort sous la torture d’un étudiant algérien grenoblois le révolte et le pousse à militer pour le FLN. « J’ai été embarqué », dira-t-il. Il organise des réseaux, continue le travail au Théâtre de la Cité et à l’école, mène ces « trois vies parallèles ». Le réseau est bientôt infiltré. On le recherche. Le 26 novembre 1960, un journal lyonnais titre : « le chef du réseau métropolitain d’aide au FLN est activement recherché » et sous-titre : « il s’agit de Jean-Marie Boeglin, le secrétaire général du Théâtre de la Cité ». Il fuit à l’étranger. Condamné par contumace à dix ans de prison, il se réfugie au Maroc où il crée une société de films portant le nom de Nedjma, héroïne et titre d’une œuvre de son ami le poète Kateb Yacine.

Après l’indépendance, il gagne Alger. Commence l’aventure du Théâtre national d’Alger avec Mohamed Boudia et Mustapha Kateb. Boeglin y signe des spectacles comme la traduction de L’Exception et la Règle de Brecht qu’il avait rencontré des années auparavant à Berlin. Il met aussi en scène Foehn, pièce du dramaturge Mouloud Mammeri, première œuvre du TNA jouée en français. Le pouvoir algérien, se méfiant des électrons par trop libres, lui montre la porte de la sortie en octobre 1968. On le retrouve, dix ans plus tard, dans l’équipe de Georges Lavaudant au Centre dramatique national des Alpes. Entre-temps, son fils Bruno Boeglin a signé ses premières mises en scène. Secrétaire général puis conseiller artistique, Jean-Marie Boeglin restera auprès de Lavaudant jusqu’en 1988. C’est dans ces années grenobloises qu’on le rencontre. Affable mais discret. Ne faisant pas exploit de sa vie. Mais quelle vie !

 

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/241120/disparition-de-jean-marie-boeglin

 

 

 

 

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