Alors que le corps d'Hocine Aït Ahmed est arrivé ce jeudi 31 décembre en Algérie pour être enterré en Kabylie, Tarik Mira. Co-fondateur constitutionnel du FFS, ex-député, un proche du leader politique algérien se souvient des moments forts passés à ses côtés.

Vous avez bien connu Hocine Aït Ahmed. Dans quelles circonstances ?

Durant la période d’exil de quelques membres historiques du FFS (Front des forces socialistes, le parti fondé par Aït Ahmed en 1963), dont Yahah dit Si El Hafid, Ali Mécili et Mouhoub Nait Maouche, j’ai rencontré pour la première fois Aït Ahmed au mois de décembre 1980. J’ai travaillé à ses côtés de manière plus rapprochée au lendemain de la déclaration de Londres co-signée avec Ahmed Ben Bella (ancien président algérien à qui il s'était opposé). C’est en effet dans la foulée de cet évènement que nous avons lancé le mensuel Libre Algérie dont j’étais co-fondateur. Après l’assassinat d’Ali Mecili le 7 avril 1987, je devenais le coordinateur de ce mensuel. Notre collaboration étroite datait de cette époque jusqu’à son retour d’exil le 15 décembre 1989. J’étais dans l’avion du retour, membre en exil de l’équipe qui a mis en place cet évènement historique. Je peux dire que la qualité de cette relation privilégiée va encore durer jusqu’au congrès de mars 1991. Au mois mai de 1990, j’ai accompagné le leader du FFS au Caire lors de la première participation de notre parti au Conseil de l’Internationale socialiste, présidée à cette époque par Willy Brandt. Entre temps, j'ai été élu président du FFS Immigration, association de droit français qui a servi à donner une vitrine légale à notre activité partisane. En 1989, je faisais partie de la trentaine de fondateurs « constitutionnels » qui ont déposé la demande de légalisation du parti en Algérie. Et, enfin, j'ai été, le 26 décembre 1991, député FFS de la circonscription de Tazmalt. J’étais l’un des 25 députés de cette élection annulée avec l’arrêt du processus électoral.
 
Quel est votre meilleur souvenir à ses côtés ? C’est une foule de petits souvenirs. Pour moi, le meilleur restera le retour d’exil le 25 décembre 1989. C’est en peu la consécration de notre combat pour la liberté. Je me rappelle de cette frénésie préparatoire et de l’arrivée de plus en plus de militants en Algérie et en émigration dans un parti qui, enfin, peut agir librement.


 
Quel a été pour lui le moment le plus difficile ? La plus grande victoire ? Le moment le plus difficile pour lui durant cette période charnière qui va aboutir au multipartisme est certainement l’assassinat de Me Mecili (avocat assassiné à Paris en 1987. En novembre 2015 la justice a prononcé un non-lieu dans ce dossier resté longtemps bloqué pour raison d'Etat). Nous avons vécu également douloureusement et collectivement la rupture avec Si El Hafid. Quelle a été sa grande victoire ? Je ne voudrais pas trahir sa pensée mais je crois que les craquelures du régime infligées par les manifestations d’octobre 1988 ont été, à cette époque, une source d’espoir. Symboliquement, son retour d’exil a dû être vécu comme une grande victoire aussi.


 
Il a fondé en 1963 le premier parti d'opposition. Que lègue-t-il à l'opposition actuelle ? Quel enseignement de la politique et du rapport de force avec le pouvoir ? Le FFS n’est pas historiquement le premier parti d’opposition. C'était le PRS (Parti de la révolution socialiste) présidé par un autre chef historique Mohamed Boudiaf. Il lègue à l’opposition actuelle un patrimoine de valeurs, une position de principe : « ne pas succomber au pouvoir pour le pouvoir ». Il a été par sa réflexion celui qui a introduit les droits de l’homme de façon puissante et féconde (voir le programme de 1979 : L’alternative démocratique à la catastrophe nationale). En ce moment de reflux politique général, il faut peut-être revenir au sage enseignement qu’il a prodigué sans cesse, résumé en cette phrase « le plus important est que les idées pénètrent la société». 
 
Le tome 2 de ses mémoires n'est jamais sorti : Aït Ahmed était un intellectuel, pourquoi n'a-t-il pas écrit davantage ?
Concernant la première question, je la lui ai posée et je n’étais pas le seul. Il a toujours répondu (vers la fin des années 80), que « L’affaire Mecili » est une manière d’aborder la suite du premier tome. Je ne saurais vous dire pourquoi il n’a-t-il pas écrit davantage mais il a déjà quatre ouvrages à son actif : Guerre et après-guerre », L’afro-fascisme * », « Mémoires d’un combattant », et « L’affaire Mecili ». Par ailleurs, il a écrit plusieurs tribunes dans différents journaux et contributions à des colloques ou autres rencontres. La matière ne manque pas. A côté de nos dirigeants, il n’est pas le moins prolifique.
 
Le FFS peut-il survivre à Aït Ahmed ? C'est le défi qu’auront à relever les dirigeants actuels. J’espère que oui.
 
La présidence avait proposé des obsèques de chef d'Etat à El Alia. Pourquoi alors que le président a décrété un deuil national de 8 jours et qu’il lui a rendu hommage, faudrait-il y voir forcément une récupération politique?
El Alia, c’est un mélange des genres où règne l’hypocrisie. Il y a à fois les bourreaux et les victimes. Ce fait serait bien vécu s’il était accompagné d’un travail pédagogique. Or, celui-ci est intrinsèque à l’Etat de droit. Peut-être qu’Aït Ahmed n’a pas voulu participer à ce concert de brouillage des codes. Si l’on se fie aux réseaux sociaux son vœu d’être enterrer chez lui, en son village, est plébiscité. 

 
*Livre inspiré de sa thèse de Doctorat d’Etat de droit international soutenu devant l’Université de Nancy.

Source: Le Figaro - 31 decembre 2015

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