Il y a 58 ans, 639 moudjahidine tombèrent au champ d’honneur lors de la célèbre grande bataille de de Souk-Ahras, une de ces épopées héroïques qui parsèment les sept années et demie de la glorieuse Révolution de Novembre. Les faits de cette bataille, qui dura toute une semaine à partir du 26 avril 1958, avaient commencé à Ouilène, près de Souk Ahras, pour s’étendre jusqu’aux hauteurs de Hammam N’bails, non loin de Guelma, sur un rayon de plus de 50 km.

Les survivants de cet engagement de l’Armée de libération nationale (ALN), aujourd’hui organisés en association, font état de la mort au champ d’honneur de 639 moudjahidine, tandis que les pertes ennemies avaient été estimées à 300 soldats tués et 700 blessés.

Selon le président de cette association, M. Hamana Boularès, l’accrochage initial a eu lieu dans la région de Zaarouria, alors que le commandement de l’ALN avait donné l’ordre d’éviter, autant que faire se peut, tout engagement contre l’ennemi, afin de faciliter le passage des armes sous les lignes électrifiées Challe et Morice. Le convoi acheminant les armes était protégé par le 4ème bataillon commandé par Mohamed-Lakhdar Sirine (décédé en mars 2007), deux compagnies de la wilaya II et une compagnie de la wilaya I.

C’est au moment du passage du quatrième bataillon et des trois compagnies venant de Tunisie, près de Djebel Beni Salah, que l’accrochage a eu lieu. Hamma Chouchène qui était adjoint du chef du 3ème bataillon, se rappelle que la bataille a été dirigée par Mohamed-Lakhdar Sirine, Youcef Latreche et Ali Aboud.

Selon l’universitaire Abdelhamid Aouadi, cette bataille s’est déroulée dans le cadre et les circonstances décrites par le général Vanuxem, commandant de la région de Constantine. M. Aouadi rapporte que Vanuxem considérait que les guerres révolutionnaires ne consistent pas seulement à neutraliser les rebelles à l’intérieur, mais également à faire face à l’aide qu’ils reçoivent de l’extérieur, comme ce fut le cas en Indochine et en Algérie.

Après la construction de la ligne Morice, en juin 1957, sur le territoire de la base de l’Est, puis son achèvement en octobre de la même année, d’importantes quantités d’armes et de munitions avaient été introduites en Algérie, mais l’ennemi allait considérablement renforcer la surveillance des frontières Ouest, mais surtout Est. Le commandement de la Révolution ayant constaté que la base de l’Est s’est trouvée « séparée d’une portion importante de son territoire », a mobilisé des forces pour protéger les convois d’armement, ce qui a été découvert par l’ennemi qui, à son tour, à mis sur place un puissant arsenal, aviation, blindés, artillerie, fantassins et parachutistes, entraînant de violentes batailles et de lourdes pertes des deux côtés.

Dans la nuit du 26 au 27 avril 1958, toutes les unités se mettent en mouvement. Le 28 au matin, la bataille eut lieu et devant l’inégalité des forces en présence, l’ennemi était contraint de reconnaître la supériorité morale des moudjahidines, rapportent des témoins. Selon M. Djamel Ouarti, professeur d’histoire au centre universitaire de Souk Ahras, les forces engagées par l’armée française dans la bataille de Souk Ahras étaient « considérables », l’engagement était même comparé à une bataille de la Deuxième guerre mondiale.

Ce chercheur affirme qu’aucun moudjahid ne s’est rendu à l’ennemi sur le champ de bataille. »Même les unités encerclées s’étaient battues jusqu’au bout de leurs forces et de leurs munitions », précise-t-il, faisant référence à de nombreux témoignages de survivants. Citant « La Dépêche de Constantine et de l’Est algérien », M. Ouarti signale que les combats se sont poursuivis sans relâche, parfois au corps à corps. Le point fort des moudjahidines était la connaissance du terrain, note-t-il, relevant également que les pertes ennemies ont été sous-estimées par les sources françaises.

Témoignages coté Français:

« Le 29 avril 1958, eut lieu sur le massif du Djebel El Mouadjene, la terrible bataille de Souk Ahras qui a duré 3 jours et 2 nuits. où il y a eu 33 morts et 68 blessés appartenant presque tous à la 3ème Cie du 9ème RCP.

Engagé depuis 2 jours dans la poursuite et la destruction des bandes rebelles venant de Tunisie on apprenait dans le courant de l’après midi de cette journée qu’une patrouille amie était accrochée le long du barrage. Une nouvelle opération était alors montée et les Compagnies du 9ème R.C.P. étaient engagées en urgence, en hélicoptères. C’est ainsi que la 3e Compagnie était posée vers 16 heures sur le massif du Djebel El Mouadjene, en flanc garde d’opération.

Hélas, c’est au nombre de plusieurs compagnies que les rebelles étaient arrivés de Tunisie, et la 3ème Compagnie se trouvait, aussitôt s’être posée, encerclée par deux compagnies ennemies. Pour augmenter encore leurs chances et ne reculant devant aucun procédé, les rebelles feignant la reddition se sont approchés, levant les bras pour, traiteusement, donner l’assaut de plus près, manœuvrant au sifflet comme dans la répétition d’une leçon bien apprise. Des combats singuliers se sont alors déroulés au cours desquels toutes les actions individuelles sont devenues des actes d’héroïsme semblables à tous ceux dont a été faite la grandeur de notre pays et le passé glorieux de notre Régiment.

Extrait de l’ allocution prononcée par le Lieutenant Colonel Buchoud Commandant le 9ème Régiment de Chasseurs Parachutistes le 5 mai 1958 au cours des Obsèques des Tués des Combats du 29 avril. C’est également ce jour que le Capitaine Beaumont Serge y laissa la vie.

Officiers, Sous Officiers, Caporaux Chefs, Caporaux et parachutistes du 9e RCP.

Commandant le 9ème Régiment de Chasseurs Parachutistes

Du 28 Avril au 4 Mai, vous venez de gagner la deuxième manche. Le rebelle avait décidé de franchir le barrage en force. Il a choisi pour appliquer son effort la région de Souk Ahras, la zone qui vous était confiée. En quatre jours, il a réussi à faire franchir le barrage à 7 de ses compagnies et en particulier aux trois compagnies de son 4e Faïlek qu’un des siens définit ainsi dans son carnet de marche, quelques heures avant de mourir : Le 4ème bataillon de choc a quitté Sakiet le 24 avril 1958. Nous avons fait halte. Les sections gardent les crêtes. Les guetteurs sont vigilants. Le 4ème Bataillon de choc doit porter un grand coup aux forces françaises. Aujourd’hui, 5 jours plus tard, le 4ème faïlek est détruit et son chef Latrech Youssef est tué. Actuellement, les 7 compagnies, ayant franchi le barrage ont été aux trois-quarts anéantis. Sur 820 hors-la-loi passés, 620 sont tués ou prisonniers. Les autres, blessés ou dispersés, seront retrouvés dans quelques jours. Il ne vous a fallu que trois jours pour faire cela. Cette victoire dont je tiens à vous marquer l’importance, a été remportée grâce au sacrifice de vos camarades tués, grâce aux souffrances de ceux qui sont blessés, grâce à vos efforts. Soyez en fiers, « soyez en grandi

Témoignage du Lieutenant Chatagno

Vers 15 h, le Colonel Buchoud décide d’investir le djebel Mouhadjen par un assaut vertical du 9ème RCP. A 15 h 30, la 3ème compagnie est posée en 2 rotations d’hélicoptères. L’ennemi ne se manifestera qu’au posé de la 2e rotation. Successivement sont mises en place :

la 1ère section ( Lieutenant Thierry ) au Nord, la 2ème section ( Lieutenant Saboureau) au centre, la 3ème section ( Lieutenant Chatagno ) au Sud, la section de commandement (Adjudant Verscheure ) entre la 2ème et la 3ème

L’ennemi a tiré sur les hélicoptères, un des appareils a été touché. Très supérieurs en nombre, remarquablement instruits, ces ennemis semblent vouloir se rendre. Ils crient « ma tiri che » (ne tire pas ) et se lèvent, armes à bout de bras. Profitant de la surprise causée par ce stratagème, manœuvrant au sifflet, l’ennemi donne plusieurs assauts à la 1ere section qui subit de lourdes pertes.

Les gars de la 3ème compagnie se ressaisissent et font front avec vigueur. A 600 mètres, d’autres unités fellaghas approchent. L’Adjudant Verscheure fait aussitôt mettre son mortier de 60 en batterie et tire à vue sur ces renforts, mais il a vite épuisé ses munitions. Le Caporal Andrejak met alors en œuvre son canon 57 SR. Repéré, il ne tarde pas à être touché, mais il trouve la force de cacher son arme sous des feuillages avant de mourir.

La présence de nombreuses unités sur le terrain et la proximité du barrage électrifié rendent les liaisons radio difficiles. Pour améliorer cette liaison, le Capitaine Beaumont fait déployer la grande antenne de son poste ; mais il se fait ainsi repérer et reçoit une première balle. Néanmoins, il donne l’ordre à sa 3ème section de se porter en soutien de la 1ère qui se fait déborder. Ne pouvant laisser à l’ennemi le point fort qu’elle tient, cette 3ème section se scinde en deux. Une demi-section se porte vers la 1ere, sous le feu redoublé de l’ennemi.

L’engagement est de plus en plus violent, les pertes nombreuses. Les blessés se regroupent en retrait autour de l’infirmier de compagnie et constituent une nouvelle section où les moins touchés soutiennent leurs camarades plus atteints. Les munitions manquent et les survivants récupèrent les chargeurs sur les morts. Le Capitaine est blessé une 2ème fois, il demande un impossible parachutage de munitions. Le Capitaine meurt !

Ce que voyant, le Lieutenant Saboureau, pour galvaniser les hommes de la Compagnie, se lève et marche à l’ennemi en criant « ressaisissez-vous, nom de Dieu » Alors, des combats singuliers, presque au corps à corps , se déroulent sans coordination et les fellaghas, de plus en plus nombreux, débordent par les ailes et encerclent maintenant la compagnie. On nous tire dans le dos.

Désormais le seul point de terrain où on peut se raccrocher est une zone rocheuse plantée de quelques arbres à trois cents mètres à l’Ouest. S’appuyant sur ce point fort, guidé par le Lieutenant Rouchette, adjoint de la compagnie, les survivants vont tenter une percée vers l’ouest. Au pas, portant leurs blessés, tirant leurs dernières munitions, ils passent. Mais derrière eux, les fellaghas, debout en arc de cercle, les tirent comme des lapins.

Le parachutiste Briskalter se retourne alors, braque son FM, et marche à l’ennemi. Seul, il oblige toute une compagnie à cesser son tir et à se protéger dans les buissons. Conscient de son sacrifice, il va jusqu’au bout, rejoignant par son acte magnifique les plus grands héros de l’histoire militaire française.

Le Lieutenant Rouchette a réussi à entrer en liaison avec une patrouille de chasse et a demandé la neutralisation de l’ennemi. Alors, l’aviation d’abord, puis l’artillerie, vont permettre aux survivants de se regrouper dans l’oued Dekma, et de remettre les blessés entre les mains du service de santé.

Il est 18 heures, la compagnie se bat depuis 15 h 30 . Entre temps, la 2ème compagnie du Capitaine Gueguen avec la section Bechu en tête, a réussi à repousser l’ennemi sur le Mouadjène. Elle donne cette information tragique : aucun survivant n’a été retrouvé sur les lieux du combat. Le bilan est extrêmement lourd. La 3ème compagnie compte 27 morts et 28 blessés. : moins de 40 hommes restent valides.

Dans la nuit, après avoir fait le point avec les rescapés de la compagnie, le Colonel Buchoud monte une opération pour récupérer les corps du Capitaine Beaumont et de ses compagnons d’armes. »

L’une des plus importantes batailles de l’ALN

Djamel Ouarti a souligné que ce fut « l’une des plus importantes batailles de l’armée libération nationale (ALN)». La puissance de feu était nettement à l’avantage des français, mais les troupes de l’ALN ont pu réussir plusieurs percées dans les rangs ennemis et briser l’encerclement pour arriver jusqu’à la wilaya III (Kabylie), notamment l’officier Aït Mehdi, dit Si Mokrane qui a été reçu par le colonel Amirouche.

Le même universitaire a aussi rappelé que 639 martyrs sont tombés au champ d’honneur. Ce fut à ce titre, a-t-il dit, un bataille d’envergure nationale, et un haut fait d’arme reconnu par les officiers de l’armée française eux-mêmes.




Mourad Arbani

Source: Algerie1.com
http://www.algerie1.com/actualite/bataille-de-souk-ahras-il-y-a-58-ans-tombaient-au-champ-dhonneur-639-martyrs/

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