Observons cette image, c'est la place des Martyrs à Alger, il y a de cela 180 ans. La place est bien dégagée après la démolition de la mosquée Assayyida vers la fin des années 1830, ainsi que Houmat Assiyyaghine (joailliers), Arrssayciyya (الرصايصية), Al-Kissariyya (القيسارية), Djamaa Sidi Abderrahmane, et Houmat Al-Qahwa lakbira (حوْمة القهوة الكبيرة), et tant d'autres quartiers et souks et swiqa (السويقة)....
Ces démolitions avaient pour but de dégager, entre autres, une grande place spacieuse, une place d'armes pour, disait-on, faire peur aux autochtones.
A gauche, on voit une partie de Djamaa Al-Jadid. En face, c'est Qasr Al-Jenina (قصر الجنينة) qui faisait office de Palais royal depuis au moins Salem Ettoumi au début du 15ème siècle, puis de Kheireddine Barberousse jusqu'au Dey Ali Khodja dit "loco", c'est-à-dire le fou...
Ce dernier décida en 1817 d'aller s'installer à Al-Qalaa (la citadelle) dite aussi la Casbah, dont le nom s'étendra à toute la ville, au quartier Al-Bab Al-Jadid sur les hauteurs de la médina. Ali Khodja s'établit à la nouvelle Dar Essoultane pour éviter un complot militaire fomenté par certains de ses "généraux"...
Place du gouvernement, sous l'occupation française
Au rez-de-chaussée du palais Al-Jenina on observe deux Sabbat (tunnels ou passages). On les empruntait pour aller vers le quartier de Djamaa Ketchaoua et l'actuelle rue Boutin, appelée alors houmat Assarkadji Laqdima, en raison d'un dépôt de vinaigre connu dans ce quartier depuis très longtemps. Et c'est bien dans ce quartier que se trouvait la vraie prison Serkadji....
A gauche du palais Al-Jounaina, on voit le palais dit Dar Aziza, la seule bâtisse restée à nos jours de ce qui fut le grand complexe royal d'Alger. L'espace où l'on voit des gens assis par terre était à peu celui du Badistane, le marché aux esclaves. C'est là que vivait et prêchait Sidi Abderrahmane Al-Thaalibi avant son décès vers la fin du 15ème siècle....
La place des Martyrs, aujourd'hui
A droite, dans l'espace laissé ouvert par la démolition de la mosquée Assiyyida, la plus grande et la plus belle de cet Alger ottoman, le fameux Hôtel La Régence allait voir le jour. Il résistera aux aléas du temps jusqu'à la fin de la guerre mondiale avant de céder la place aux arrêts de bus actuels.
A la place des bâtisses situées en face, autrement dit en allant plus à gauche vers Bab El-Oued, des bâtisses coloniales allaient voir le jour. Là, dans un café modeste Mohamed Ben ali Sfindja marqua son époque avec ses belles chansons arabo-andalouses et son chef d'œuvre Al Qadd Alladi Sabani...
Presque un siècle plus tard, c'est Hadj M'hamed Al-Anka qui allait prendre sa place jusqu'à la fin des années 1970... Si vous prenez à gauche, vous irez directement à Bab Azzoun et le futur Square Port Said, (ex Bresson)... Bonne promenade...
Fawzi Sadallah, Al Huffington Post, 24/05/2016